Résumé :
« Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny… »
Quand il fit la promesse à ce M. Piekielny, son voisin, qui ressemblait à « une souris triste », Roman Kacew était enfant. Devenu adulte, résistant, diplomate, écrivain sous le nom de Romain Gary, il s’en est toujours acquitté : « Des estrades de l’ONU à l’Ambassade de Londres, du Palais Fédéral de Berne à l’Élysée, devant Charles de Gaulle et Vichinsky, devant les hauts dignitaires et les bâtisseurs pour mille ans, je n’ai jamais manqué de mentionner l’existence du petit homme », raconte-t-il dans La promesse de l’aube, son autobiographie romancée.
Un jour de mai, des hasards m’ont jeté devant le n° 16 de la rue Grande-Pohulanka. J’ai décidé, ce jour-là, de partir à la recherche d’un certain M. Piekielny.
Mon opinion :
Il faut l’avouer, la lecture de cet ouvrage relève d’un certain hasard : Mi-Octobre, journée chargée, métro à attraper, vibration de mon téléphone, notification de mail, sélection pour le jury du Prix du Roman Etudiant France Culture – Télérama 2017, et bim, cinq livres de plus dans ma pile à lire déjà titanesque. Voilà comment j’ai fait la rencontre d’un certain M. Piekielny. Par hasard. Mais pour Eluard, « Il n’y a pas de hasard, il n’y que des rendez-vous« . J’ai toujours acquiescé face à ces mots, intimement convaincue de la véracité de ces propos. Là encore, j’acquiesce : Oui, je crois que j’avais véritablement rendez-vous avec Un certain M. Piekielny.
Me voilà dans l’obligation de confesser mes pêchés : Je n’ai jamais lu une ligne de Romain Gary. Il fait partie des trop nombreux auteurs qui m’appellent, coincés dans ma pile à lire, et que je souhaite ardemment rejoindre ; mais le temps finit toujours me rattraper, et me ramène à la case départ, celle des services de presse et des lectures scolaires. Toutefois, cette lacune m’offre un argument supplémentaire pour vous convaincre de vous lancer à la découverte d’Un certain M. Piekielny : Nul besoin d’être incollable sur Gary, ni même de l’avoir déjà lu, pour apprécier ce livre. Certes, j’imagine qu’avoir lu La promesse de l’aube, au moins, donne une toute autre dimension à ce récit. Mais même sans l’avoir lu, il est tout à fait possible de comprendre le travail de François-Henri Désérable. Je dirais même plus, mon cher Dupont : Il est tout à fait possible d’être profondément marqué par le travail de François-Henri Désérable.
Près de 260 pages durant, François-Henri Désérable s’amuse. Oh, oui, il mène une enquête, c’est certain. Il cherche à savoir si M. Piekielny a réellement existé, et si c’est le cas, quel homme il a été. Mais au-delà de ça, François-Henri Désérable s’amuse. Il joue avec le lecteur, avec son innocence, sa confiance. Un certain M. Piekielny n’est pas qu’une simple promenade de santé sur les traces d’une souris triste. Ce roman est un jeu, un jeu d’enfant, vous savez, ce grand classique, celui de marcher en équilibre sur une poutre, un bord de trottoir, une simple ligne tracée au sol. A gauche, le réel, à droite, la fiction. Au fur et à mesure de la lecture, on avance, un peu à tâtons ; au début, d’un pied prudent devant l’autre, puis, au fur et à mesure, de plus en plus vite, emporté par l’élan, tanguant parfois un peu d’un côté plus que de l’autre. Des hasards de l’enquête piekielinienne et des nombreuses anecdotes personnelles de l’auteur, on ne sait jamais vraiment ce qui est vrai, ce qui est faux. Et pourtant, on continue d’avancer, parce qu’au fond, quand on lit, la vérité vraie, on s’en fout un peu, non ?
Alors on suit l’auteur, qui nous mène à la baguette, vers des chemins sinueux, en passant par des impasses et des ponts. Son écriture, rythmée par un humour très raffiné et pince-sans-rire, est de celles qui m’impressionnent : A la fois très littéraire et très accessible. Vous savez qu’il y a un véritable exercice de style, mais vous ne le ressentez pas. Aucune lourdeur, et une fluidité totale. François-Henri Désérable écrit comme il parle (J’ai eu la grande chance de le rencontrer à la Librairie de Paris, malheureusement avant ma lecture de son chef d’oeuvre, et ça, je le regrette énormément), c’est-à-dire avec une forte utilisation des digressions. Les digressions sont à mes yeux un art à part entière, un art qu’il est facile de pratiquer mais ardu de maîtriser. Et là, j’ai été tout simplement soufflée : Plus que le maîtriser, l’auteur le possède. Oui oui, je maintiens, non non, je n’use pas d’hyperbole. Il le possède, parce qu’on ne les voit plus, ces digressions, ces petites et grandes parenthèses vers Romain Gary, vers la vie de l’auteur, vers des sujets X ou Y. Elles font partie intégrante du récit, et semblent parfaitement naturelles, logiques. M. Piekielny est comme un prétexte, prétexte pour explorer bien d’autres horizons littéraires, pour conduire au travers du récit maintes réflexions, donnant à l’ouvrage une richesse extrême brillamment transmise au lecteur.
Ce livre est une déclaration d’amour à la littérature, ainsi qu’à Romain Gary. Ce dernier est très présent dans l’ouvrage, comme s’il était indissociable de la vie de Piekielny, ce qui est sans aucun doute très vrai, puisque c’est en quelque sorte Gary qui l’a fait naître aux yeux du monde, en lui donnant une petite place dans un texte aussi grand que La Promesse de l’aube, qu’il ait réellement existé ou non. On retrouve donc par exemple des citations de Gary (Oui, j’ai menti, j’ai dit ne jamais avoir lu une ligne de cet auteur, mais je connais tout de même quelques citations), des anecdotes sur sa vie, vrausses (Parce que je ne sais pas si elles sont vraies ou fausses, et je n’ai aucune envie de chercher à le savoir pour le moment, car François-Henri Désérable a réussi à me faire croire en ce qu’il narrait,et j’aime me complaire dans cette confiance aveugle), qui nous font parfois un peu oublier M. Piekielny, qui n’est jamais ni totalement présent, ni totalement absent, telle une ombre indispensable. J’ai été absolument fascinée par ce travail, ingénieux mélange d’hommage et de création, qui font d’Un certain M. Piekielny un bijou de la littérature contemporaine.
Je ne peux que vous encourager à découvrir cette pépite, qui a pour moi été une révélation littéraire arrivée au bon moment, ce moment un peu étrange et prétentieux où je permettais d’être lassée de lire des ouvrages qui se ressemblaient tous à mes yeux. Ici, l’audace croise l’ordinaire dans un bal mené par le couple fusionnel de la fiction et du réel. Et c’est sublime. Aucune fausse note, la mélodie est d’une harmonie irréprochable. En toute sincérité, voilà bien longtemps qu’un ouvrage m’avait marquée à ce point. Il ne fait aucun doute qu’Un certain M. Piekielny fera désormais partie de ces livres qui ont une place d’honneur dans ma bibliothèque, ceux qui m’ont, je l’ai senti, changée, réveillée, et rappelé pourquoi j’aime tant jouer avec les mots. A vous de tenter l’expérience Piekielny dorénavant, et croyez-moi, vous ne serez pas déçu.
♫ En fond d’écriture de chronique, Pour ne pas vivre seul, Dalida ♫
Je ne connaissais pas et ce n'est pas forcément vers ce genre de livre que je me tourne d'habitude, mais… tu m'as vraiment donné envie de le découvrir !
C'est le genre de livre vers lequel je ne me tournerais vraiment pas, et pourtant ta chronique me tente énormément !!
Il a l'air très intriguant 😀 je n'ai jamais lu aucun livre de Romain Gary non plus, mais ça viendra ! Merci pour la découverte 🙂
C'est exactement ça, Piekielny est le meilleur des prétextes pour ce qui est à la fois un jeu littéraire, un jeu avec le lecteur et un jeu avec la fiction. ON ADORE 😀