Titre : Oedipe sur la route
Auteur : Henry Bauchau
Editions : J’ai lu
Année de parution : 2000
Pages : 259 pages
Prix : 6,80 €
Résumé :
Oedipe, celui qui – jouet des dieux – a tué son père et épousé sa mère, quitte Thèbes aveugle et accablé par le poids de sa faute. Avec sa fille Antigone, il s’engage dans une longue errance qui le conduira à Colone, lieu de sa « disparition »… et de la clairvoyance. Car ce livre est un voyage intérieur dans lequel un homme affronte les ténèbres qu’il porte en lui, jusqu’à atteindre la connaissance de soi. Dans cette quête, Henry Bauchau convoque tour à tour le chant, la danse, le rêve et le délire comme moyens de libération de son héros… Et c’est par la sculpture, au flanc d’une falaise, d’une vague gigantesque, symbole des épreuves déjà franchies ou encore à franchir, que ce délire trouve son expression la plus achevée et la plus visionnaire. Oedipe sur la route, roman d’aventures, roman initiatique, est avant tout une somptueuse interrogation sur l’individu et son destin.
Mon opinion personnelle :
J’avoue, ce livre, je ne me suis pas plongée dedans avec grand enthousiasme. En effet, après La machine infernale, Œdipe Roi et Œdipe roi, je commençais à saturer avec les Œdipe. Mais c’était pour les cours, et c’était le dernier de la liste, alors, je me suis lancée. Je craignais des redites, et donc un ennui total. Mais, en fin de compte, même s’il ne s’agit pas, selon moi, du livre-le-plus-génial-de-ma-vie-et-même-de-la-terre-entière, j’ai été plutôt agréablement surprise. Explications.
Trois personnages dominent l’histoire. Bien évidemment, il y a Œdipe. On le retrouve ici après son départ de Thèbes, aveugle, bien plus mature, sage et intéressant. Il est en revanche très lunatique : Poursuivi par les démons de son passé, son esprit ne semble jamais en paix. Le lecteur vit avec lui sa douleur, ses tourments, ainsi que la guérison de son âme. Sa fille, Antigone, est également très différente. Elle grandit tout au long du livre, évolue énormément : Petit à petit, elle devient plus réfléchie, mûre, mais, par la même occasion, de plus en plus déchirée par sa terrible situation. On perçoit ici le passage de l’enfance à l’âge adulte, avec les prises de conscience, les échecs, les désillusions. J’ai cependant eu du mal à accrocher avec elle, la trouvant parfois trop « possédée » pour la comprendre. Le personnage de Clios m’a en revanche beaucoup plu. Lui apportait au récit beaucoup de charme, de force. La relation père-fille est riche, mais elle serait rapidement retombée si le duo ne s’était pas transformé en trio. Ce jeune brigand, qui traîne péniblement les chaînes de son passé, s’avère très touchant, et permet aux autres personnages de se dévoiler. Son comportement est marqué par de nombreux chamboulements : On le voit fier et fort, on le voit détruit et battu, on le voit transi et amoureux. C’est un homme aux mille et une facettes, qui ne cesse jamais de surprendre le lecteur.
Le style de l’auteur est loin d’être banal. Les figures de style sont conséquentes, il faut être bien accroché pour tout saisir. Parfois, on part dans des délires qui, aux premiers abords, semblent être totalement fantasques, mais qui, avec du recul, sont époustouflants. Je pense ici notamment au long passage sur la Vague, qui est, au fond, bien plus qu’une simple sculpture. C’est loin d’être facile, mais ça en vaut clairement le détour. On apprend beaucoup, avec ce livre. Il peut être compris à différentes échelles, en fonction de ce qu’on a envie de comprendre. C’est très étrange, mais les mots paraissent soigneusement choisis, de manière à parler à tous, à correspondre à l’état d’esprit du lecteur. C’est beau, tout simplement.
Ce qui m’a le plus emballée, c’est l’intrigue. Elle est située entre deux célèbres pièces : Œdipe Roi et Antigone, entre le départ d’Œdipe et le duel entre Etéocle et Polynice. Nous suivons donc, de long en large, le houleux parcours des personnages. Sur la route, ils sont à la fois mendiants, voyageurs, soigneurs, philosophes, bandits. Le récit alterne période de tensions et de rapprochements, (J’ai l’impression de réciter mon cours sur la Guerre Froide là. Mais en même temps, n’est-ce-ce pas une Guerre Froide, ce livre ? Un affrontement entre deux modèles, l’un à Thèbes, l’autre sur la route. Sans violence apparente, simplement deux façons de penser que tout oppose. OK, j’arrête.) et parfois, il faut l’admettre, ce n’est pas folichon. On a certains passages qui se répètent, qui sont plus lents, qu’on lit en diagonale. Mais juste après, d’un seul coup, tout éclate, ça part en tous les sens, on ne sait plus où donner de la tête. Les péripéties s’enchaînent, presque sans trêve, comme une spirale infernale. Et puis, tout retombe, le calme après la tempête. Cette façon de raconter, assez déséquilibrée, est au premier abord, surprenante. Et puis, on s’y fait, on en saisit les sens et les sous-entendus. Ce principe de ralentir, puis d’accélérer, puis de nouveau de ralentir l’intrigue apporte au bouquin un certain mystère, mais également une certaine authenticité. En effet, quel voyage est totalement parsemé d’embûches, ou au contraire, totalement monotone ? Aucun. Et c’est cet aspect qui ressort ici : Le hasard d’un périple. De nombreuses rencontres agrémentent cette longue marche à travers la Grèce, qu’on pourrait qualifier de pèlerinage. Des hommes et des femmes, tous plus différents les uns que les autres, apportent, chacun à leur façon, leur pierre à l’édifice. C’est également l’occasion pour l’auteur de mettre en place le principe de mise en abyme : Des récits de vie sont intégrés au roman de base. Moult procédés peuvent être ainsi retrouvés tout au long de la lecture, lui donnant du relief et du sens. Que vous dire de plus ? Ce livre est, de toute évidence, une remarquable leçon de vie. Il invite à aller au-delà des limites de la lecture, au-delà de ses propres limites. Il vous apporte deux principales choses : D’abord, davantage de connaissances sur le mythe d’Œdipe, sur un possible entre-deux. Mais aussi de la réflexion, sur la condition de l’Homme, sur la vie, tout simplement. Un voyage est bien souvent propice à la remise en question, aux songes, notamment par la solitude. Mais vous allez me dire qu’ici, ils sont trois, pour cette aventure. Et je vais vous répondre que c’est précisément ce qui fait de cet ouvrage une réussite : Ce tour si bien orchestré, de manière à rendre ces personnages seuls, seuls dans leur combat, dans leurs pensées. Mais bon, je m’emballe là, je crois qu’il est temps de passer à la suite afin de partir trop loin !
Mon avis est cependant plus mitigé en ce qui concerne la fin. Effectivement, certains éléments sont très bien trouvés et porteurs de beaucoup de choses, mais certains sont moins notables. Quelques pages avant la fin, (Non non, rassurez-vous, je ne vais PAS vous spoiler, juré.) Œdipe fait un rêve bien particulier. On ne s’y attend pas, mais c’est génial. Franchement, c’est tout simple, à côté du reste de l’ouvrage. Ici, pas de grand vocabulaire, ou trucs ultra-recherchés. Je ne vous en dis pas plus, histoire d’en avoir dit juste assez pour vous donner envie sans pour autant tout vous balancer. Sauf qu’à part ça, la chute ne m’a pas paru être des plus incroyables. Je vous ai dit plus haut que l’écriture alternait lenteur et accélération, pour un très beau rendu. Mais on termine sur un passage accéléré. Et ça donne un petit côté bâclé qui laisse un goût amer dans la bouche. J’avais l’impression qu’il me manquait beaucoup de choses, ce qui est fort dommage pour un tel ouvrage. On a besoin, envie de détails, on les attend, mais ils ne viennent pas, alors on reste sur sa faim. J’avoue que ça m’a un peu gâché l’image de ce livre…
Le titre est évidemment très symbolique, et tout à fait en harmonie avec le récit. Il donne un très bon aperçu de ce qu’on va trouver. La couverture est bien moins à mon goût. On ne peut pas dire qu’elle ne correspond pas au livre, au contraire, mais le trait de dessin n’est pas des plus séduisants, de mon point de vue. D’autres collections proposent des couvertures bien plus agréables, comme celle d’Actes Sud par exemple, qui, en plus, reflète directement le passage le plus fort du livre.
En conclusion, ce livre est une belle découverte, très instructive. Il fait partie de ces bouquins qu’on lit pour apprendre, pour se construire et mûrir, pas pour se détendre. Il permet de découvrir Œdipe et Antigone d’un nouvel œil, et de contribuer un peu à leur long voyage. Je vous le recommande vivement en complément de la lecture d’un ouvrage sur le mythe en lui-même, car il apporte beaucoup d’idées riches très développées. Dommage que la fin soit si simple, à côté d’un tel monstre de littérature…
J’ai bien aimé ! |
C'est un classique que j'aimerai bcp découvrir 🙂
Je t'y invite fortement, surtout si tu as lu Oedipe Roi et Antigone 🙂